» Qi Bo : Vous me demandez de parler de Shen ! Shen, 0 ! Shen «
C’est avec cette exclamation qui en dit long sur cette subtile et insaisissable réalité que Qi Bo commence son exposé sur le Shen à l’empereur Jaune[1].
Le Shen est souvent traduit par l’esprit, la pensée ou la conscience, c’est une notion difficile à saisir ou à traduire. Selon le Huang Ti Nei Ching (Le livre classique de médecine interne de l’Empereur Jaune) Le Shen illumine chaque chose et lorsqu’il se manifeste, il ressemble au vent qui balaie tous les nuages ».
Le Shen et ses subtilités : Le Yuan Shen et le Shen individuel
Le Yuan Shen peut être traduit par l’esprit originel ou la conscience cosmique, la lumière universelle, la vigilance infinie. Le Yuan Shen est la matrice de toute matière et toute énergie. C’est le champ de toute possibilité et qui possède une créativité infinie, un équilibre parfait, une plénitude absolue, c’est la source de tout ce qui est. Cette énergie cosmique qui anime tous les êtres et toutes existences dans l’univers est notre essence spirituelle, notre nature fondamentale. II se tient en dehors de toutes créations de cause à effet selon la loi du Yin-Yang.
Lorsque le Yuan Shen choisit de vivre des expériences selon son mandat céleste, il devient alors le Shen individuel ou la conscience organisatrice, depuis sa nature cosmique illimitée vers la conscience limitée dans l’espace et le temps. Il s’incarne et suit la loi d’impermanence du Yin-Yang, il investit une trame de vie (le mandat céleste) pour se manifester.
Pour connaître les premières manifestations du Shen, il faut remonter à la conception de l’être. Il va choisir les futurs parents qui lui permettent de se manifester selon le plan qu’il a choisi et de faire appliquer le projet spirituel de l’être (mandat céleste). Lorsque le Jing du père et de la mère s’unissent, la Conscience Organisatrice du futur bébé se fixe sur cette trame de vie lui accordant un potentiel de vitalité, de dynamisme, de mouvements, de formes, de structures, de rythmes, etc. Lorsque le Shen s’est incarné, individualisé puis organisé en un outil d’apprentissage, de réflexion et de communication pour s’adapter et expérimenter le milieu dans lequel il baigne, il applique et fait perdurer son projet de vie d’une façon consciente ou inconsciente. Pour cela, il possède un pouvoir de détermination, de réalisation et la volonté permanente de continuer à se manifester. C’est le Zhi[2] qui condense ses attributs à travers des outils privilégiés du Shen : les cinq sens, les orifices des organes des sens : yeux, narines, oreilles, bouche et les cinq composants principaux : le Po, le Hun, le Yi, le Zhi et le Shen qui sont liés aux cinq organes vitaux : les poumons, le foie, la rate-estomac, les reins et le cœur. Le Shen s’informe du monde extérieur. Leur bon fonctionnement détermine l’acuité de la conscience. Les sens sont des aires de contacts et d’échanges qui permettent au Shen d’être conscient du monde extérieur. Ce sont aussi les supports privilégiés de la communication : on écoute, sent, voit, goûte, ressent l’autre. On réceptionne l’information provenant d’autrui puis on exprime par la bouche, par nos mimiques, par nos mouvements, nos idées, nos émotions… Le Shen est l’organisateur absolu de l’outil sensoriel, de l’information, du langage, de l’échange, de la communication.
Le Jing
Le Jing est le support, la réserve des qualités et des caractéristiques intimes et spécifiques de toute chose et de tout être vivant. C’est ce qui fait qu’un arbre donne toujours les mêmes fruits, que la graine d’une orchidée produit une autre orchidée et non pas une ortie ou un pommier. Mais, c’est aussi le fait qu’une rose sera différente d’une autre rose: une sera belle, charnue, majestueuse, résistante alors qu’une autre sera quelconque, chétive, petite, fragile.
Le Jing est un programme d’un type de vie avec ses limites de manifestations : une laitue peut vivre avec une taille donnée, un type de feuilles, pour une certaine durée, dans des conditions climatiques. Il est donc le support, la trame de vie indispensable à la manifestation du Shen. Il existe une interaction étroite entre le Jing et le Shen. Le Shen s’incarne lorsque le Jing des deux parents s’unissent à la conception. Le Shen organise, ordonne le Jing pour générer un être vivant et le Jing nourrit le Shen pour qu’il se manifeste et accomplit son mandat céleste et permet son incarnation. Le Shen donne la possibilité au Jing d’exister et de vivre la vie. En terme de vie, Shen et Jing sont indissociables. S’ils se séparent, le Shen retourne au Ciel, c’est la mort de l’individu dans son corps. C’est l’apparition et la disparition du Shen qui fait la vie ou la mort. » Perdre Shen, c’est la mort, obtenir Shen, c’est la vie » (Ling Shu).[3]
Jing Inné et le Jing Acquis
Le Jing représente donc le support ou la forme nécessaire pour que le Shen puisse manifester. Le Jing se manifeste depuis sa forme la plus grossière : le corps (le Xing) jusqu’à sa forme la plus raffinée : l’essence originelle ou Yuan Jing, qui se trouve dans les reins. Cependant, Il existe deux types de Jing très distincts, un est Inné et l’autre est Acquis
Le Jing Inné ou le Yuan Jing :
Il nous est transmis par les parents au moment de la conception. Il est le vecteur des caractères héréditaires qui dépendent de l’espèce, des lignées ancestrales et des deux parents. Nous pourrions le comparer à une certaine somme d’argent que des parents donneraient à leur enfant au moment où il quitte la maison pour s’installer dans la vie, qu’il pourra gaspiller ou faire fructifier selon son comportement. La qualité de ce Jing résulte donc du capital vital de l’espèce, des ancêtres et des parents de l’individu. Précisons que le Jing Inné d’une personne est le fruit de l’union du Jing des deux parents (porteurs de l’hérédité), le Jing Inné est limité en quantité et non renouvelable. Il constitue notre réserve la plus précieuse, de sa qualité dépend notre santé, notre équilibre, notre vitalité, notre longévité. L’épuisement de cette source intime de vie entraîne la mort. Le Jing Inné doit être en permanence protégé, sauvegardé, stabilisé et entretenu par l’apport constant de Jing Acquis.
Le Jing Acquis :
Le Jing Acquis provient de l’assimilation du Jing prélevé dans l’ environnement dans lequel l’individu se fond et notamment :
– des aliments, des boissons (saveurs, liquides)
– de l’air, énergie du ciel et de la terre.
– des phénomènes cosmo-telluriques (lumière, rayonnement cosmotellurique, eau, air, soleil, mouvement énergétique de l’univers … )
– des phénomènes sensoriels ou proprioceptifs (couleur, son, odeur, goût, tact, sensation.
– des énergies psychiques (sensations émotionnelles, sentiment d’émerveillement, de l’harmonie, du juste, du bien, désir de vivre).
Pour illustrer ce propos, prenons l’image d’une bougie : à la naissance, nous recevons de nos parents une bougie allumée. Tant que celle-ci éclaire, nous sommes en vie. La cire de la bougie symbolise le Jing Inné alors que la flamme symbolise la transformation permanente de Jing en énergie nécessaire au maintien de la vie. Cette bougie a une certaine taille, et donc une durée de vie limitée. Pour vivre bien et longtemps, nous devons extraire de notre environnement un combustible (Jing Acquis) que nous remplissons régulièrement dans la petite cuvette qui se trouve juste sous le flamme. Ainsi, ce combustible permet de ralentir, voire de temporiser ponctuellement, la consommation de la bougie elle-même.
Le Jing Shen
Le Tai Ji Quan et (ou) le Qi Gong nous donne les moyens pour prendre soin et pour être en harmonie avec notre corps (le Jing). Nous apprenons à l’écouter, à mieux connaître ses besoins, ainsi que ses points forts et ses points faibles. Nous pouvons considérer que notre corps est comme un cheval ou un véhicule qui nous accompagne tout au long de notre voyage sur terre. Nous avons besoin de lui pour parcourir le chemin de la vie, pour traverser les chemins des plus faciles aux plus difficiles. A travers les exercices, nous lui apprenons à se détendre, à relâcher les tensions inutiles, à trouver un axe, à trouver un centre pour exprimer les gestes, les mouvements avec la grâce et l’harmonie. Plus je suis (le Shen ou la conscience organisatrice) en harmonie avec mon corps (le Jing) plus mon voyage sera harmonieux. Mon corps peut être mon meilleur compagnon, fidèle comme un cheval bien soigné et bien éduqué ou mon pire ennemie comme un corps étranger que je connais trop peu et auquel je ne porte que peu d’attention ou de soin.
Je peux l’aimer ou le détester, de toute façon il sera avec moi tout au long de cette vie.
« Fait du bien à ton corps pour que ton âme ait envie d’y rester » (proverbe Indien).
Certains textes classiques attribués au Tai Ji Quan utilisent souvent l’expression le Jing Shen « essence et esprit ou esprit de vitalité ». Le Jing Shen désigne l’union intime de l’énergie et du mouvement, la symbiose entre l’esprit et la technique. Selon le maître Chang Dsu Yao : celui qui possède le Jing Shen se déplace avec vivacité et concentration, ses gestes comme ses attitudes paraissent majestueux, ses mouvements même très lents révèlent la présence d’une grande énergie intérieure. Pour atteindre le Jing Shen, il est donc indispensable que le Jing et le Shen soient forts, vigoureux et équilibrés, ce qui suppose la circulation d’un flux abondant du Qi. Selon le maître Yang Chenfu : quand le Jing Shen est mis en action, les mouvements deviennent spontanés, légers et agiles. Certains auteurs disent même que lorsque le Shen est parfaitement équilibré avec le Jing, la maladie ne peut pas apparaître.
Le lien entre la conscience individuelle et la conscience cosmique
Etre en harmonie avec notre corps nous apporte de la sérénité et l’unité avec nous même, un état d’être l’unité de soi. Il nous permet de vivre au présent et de communiquer avec notre vraie nature. Le moment présent devient la base de notre être, parce que c’est là que nous trouvons la sève de notre vie et la connexion avec qui nous sommes réellement : pourquoi suis-je là ? Cette sérénité qui habite en nous est un moyen nécessaire pour que nous puissions être à l’écoute et être en accord avec notre cœur. Selon la Médecine traditionnelle chinoise, le siège du Shen individuel se trouve dans le cœur. Par la pratique, par les soins et l’attention que nous accordons à notre corps, par la pratique de la Vertu, nous serons de plus en plus en connexion et en paix avec notre cœur ou le Shen individuel ce qui nous ouvre vers la connexion avec le Shen Cosmique, car c’est par le coeur que nous pouvons communiquer et nous relier avec notre source divine. Etre en contact avec notre cœur c’est être en accord avec notre conscience, se sentir juste dans nos pensées, dans nos paroles et dans nos actions. La pratique au quotidien telle que la gratitude, l’appréciation, le partage, la sympathie, la compassion, la sérénité et la bonne intention, nous ouvre les possibilités de nous relier et d’être en connexion avec le Shen cosmique ou notre source divine.
Bibliographie :
- Le Mandala de l’Etre – Richard Moss : Albin Michel
- Trouble psychologique en médecine chinoise – Philippe Sionneau : Guy Trédaniel
- Le Tai Chi Chuan – secret de l’énergie vitale – Chang Dsu Yao – Roberto Fassi : Editions de Vecchi
[1] L’Empereur Jaune (Huang Di) est un souverain mythique de la Chine (règne de 2697 à 2598 av. J.-C.), considéré comme le père de la civilisation chinoise.
[2] La détermination ou le Zhi en chinois, désigne la capacité réalisatrice, la force de caractère, la volonté d’un être qui lui donne la possibilité d’accomplir ses intentions
[3] Le « Lingshu Jing », bible de la médecine chinoise traditionnelle, aussi connu sous le nom de « Pivot merveilleux », il fait partie du « Huang Di Neijing Suwen, le canon de l’Empereur Jaune.
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